Partant du principe que ce sont ceux qui boivent le plus de bière, les Bretons, qui ont le plus besoin de houblon, Romain CHEMIN a sauté le pas avec une houblonnière bio d’un hectare, pour commencer, et sept variétés de houblon. Et ça se passe à Allaire dans le Morbihan, dans le pays de Redon.
La culture de houblon traditionnellement se concentrait sur le Nord, et depuis les années 1830 sur l’Alsace et la Bourgogne dans une moindre mesure. Il y a quelques années, la production a atteint son étiage, elle est depuis repartie à la hausse avec une surface de 480 hectares en Alsace (20 hectares supplémentaires en 2017), le principal centre de production. Une croissance qui accompagne bien entendu le développement de la brasserie artisanale, avec 1 295 brasseries françaises recensées en juillet 2018 (source Projet amertume), soit près de 1,7 crées par semaine.
Au-delà de cette extension alsacienne qui fait la part belle aux variétés traditionnelles de la région, à commencer par le Strisselspalt, mais aussi les hybrides à profil fruité développés par la Cophoudal comme l’Aramis, le Barbe-Rouge ou le Mistral, le phénomène se développe hors des terroirs traditionnels.
Romain Chemin a planté au printemps un hectare de houblon à Allaire, dans le Morbihan, dans le pays de Redon, A l’air houblonné. Il s’agit de la ferme de ses grands-parents qu’il a repris il y a quelques années. « J’ai commencé dans une entreprise de travaux agricoles » L’occasion de se faire la main sur les engins à travers toutes les étapes de culture mais aussi de mesurer les limites du modèle productiviste. « J’ai subi une brulure chimique sur le bras avec un produit phytosanitaire. Ça fait réfléchir sur la nature profonde de ses produits. » Romain se reconvertit quelques années en commercial dans la filière bio avant de créer son exploitation. Il vit aujourd’hui d’une production maraichère en circuit court (mâche, épinard, pommes de terre, oignons) certifiée AB.
Mais revenons à nos houblons. La plantation, tardive, a démarré début avril, la faute à un hiver très pluvieux. Le terrain lui-même, sur un sous-sol de grès, domine une colline, avec une bonne exposition au vent qui permettra d’assainir les plants autant que possible. En ce début juillet, les plants montent de 3 à 6 mètres, ce qui n’est pas si mal après une croissance aussi courte pour des rhizomes tout neufs.
Les variétés plantées mélangent Europe et Amérique avec : Target, Chinook, Centennial, Glacier, Saaz, Willamette, Cascade, Hallertau.
« Il n’y a pas tellement d’enjeu d’approvisionnement sur ces variétés qu’on trouve facilement sur le marché. L’intérêt est surtout de proposer un houblon local qui redonne de la cohérence à la notion de circuit court. » D’autant que l’offre de malt breton, bio lui aussi, se développe, notamment avec la création de la malterie Yec’h Malt à Saint-Avé près de Vannes. Jusqu’à récemment, il fallait expédier l’orge bio en Belgique pour le faire malter, avec la clé une empreinte carbone non négligeable. Il est donc aujourd’hui possible de brasser des bières 100% bretonnes en pleine cohérence environnementale. Si le prix du houblon local devrait rester plus cher que celui d’importation, le choix relève surtout de la démarche militante des brasseurs, et le surcoût n’est pas si important.
Tout l’intérêt d’une plantation comme A l’air houblonné est également d’offrir un terrain d’expérimentation à ces variétés et de révéler les effets terroirs. La plupart des variétés américaines poussent dans l’état de Washington ou l’Oregon. Et une variété comme le Cascade, quand elle est plantée en Alsace, ne donne pas le meilleur d’elle-même sur les aromatiques. Il y a toute une expérience à développer et partager sur ces variétés. Mathieu Cosson, lui-même houblonnier en Loire-Atlantique, a produit en 2017 un Cascade qui a donné de très beaux résultats sur la Pale Ale de la brasserie du Baril, goûtée au Saint-Malo Craft Beer expo. (À titre personnel, un autre Cascade que mon beau-père entretenait sur un terrain consacré depuis des siècles aux pommiers et aux moutons offrait également de belles notes d’agrumes avec des alphas vigoureux.)
Pour l’heure, Romain est équipé d’une trieuse d’origine allemande récupérée en Pologne, une belle pièce de mécanique âgée de 55 ans qui remplira encore son office et d’un séchoir alsacien de récupération.
Un obstacle pour la diffusion, la production reste pour l’instant imitée aux cônes séchés, le mode de conservation brut, qui souvent bouche les filtres et tuyaux des installations et n’a pas la préférence des brasseurs.
« Nous réfléchissons à acheter une unité de pelletisation avec d’autres houblonniers », à savoir Mathieu Cosson, 2 hectares en Loire-Atlantique, Antoine Fleury, bientôt 4 hectares dans les Côtes-d’Armor, et Jo Lasko, 2 hectares dans les Yvelines.
En cet été très chaud où les plants les plus précoces sont entrés dans leur phase de floraison, Romain plante les piquets et tire les câbles pour un hectare supplémentaire de houblon Nugget, Brewers Gold, Bullion et Galena. Affaire à suivre.