A lire : Le goût de la bière fermière

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Si vous ne connaissez pas l’excellent Martin Thibault, je recommande la lecture de son blog Les Coureurs de boire, dans lequel il relate ses périples à travers la planète brassicole, à la découverte des saveurs et techniques de brassage ancestrales. C’est également l’auteur, avec David Levesque Gendron, du livre de référence Les Saveurs gastronomiques de la bière, qui pose quelques bases fort utiles pour la sommellerie de la bière, ainsi que d’autres ouvrages. Le garçon est Québécois, un pays qui s’est distingué depuis une vingtaine d’années par l’excellence de sa production.
Martin THIBAULT

Le Goût de la bière fermière est donc un livre pour amateurs d’un abord facile et d’une écriture fluide qu’on peut aborder dans l’ordre ou picorer au hasard des pages.

Mais d’abord, qu’est-ce qu’une bière fermière ? Question pertinente qui renvoie surtout aux pratiques américaines qui ont multiplié depuis quelques années les références aux « Farm ale » souvent assimilées aux bières de garde ou Saison. Sans oublier les « Wild ale », catégorie fourre-tout qui regroupe l’ensemble des fermentations atypiques.

J’apprécie beaucoup chez Martin Thibault son absence de dogmatisme, loin de la tendance américaine consistant à classifier les bières à l’excès. Au contraire, il observe et décrit un ensemble de pratiques remontées du terrain, et souvent relativise. Historiquement, une bière fermière peut être produite par une ferme-brasserie, à partir des céréales produites localement. Le cas existe encore aujourd’hui, dans nos contrées avec des brasseries comme Rabourdin en Seine-et-Marne, ou Drao en Ille-et-Vilaine. Mais qu’en est-il de la typicité quand les variétés d’orge sont celles du marché, et qu’elles sont maltées à façon par de grands opérateurs ? L’étude des levures et fermentations est une autre piste à explorer, mais les pratiques sont tellement diverses, de la fermentation en fut en passant par les cultures en laboratoires de levures sauvages, qu’il est difficile de caractériser techniquement ce qui fonde une bière fermière. On peut donner de la valeur à la mise en avant d’un terroir, avec l’utilisation des produits des campagnes alentour, houblons, fruits ou herbes sauvages.

 

La bière fermière, une définition multiple

 

Sans vraiment poser de définition claire, l’auteur demande leur avis à des brasseurs, et répond à travers une multitude d’exemples de bières traditionnelles observées et goûtées à travers le monde dont il explique l’origine aux vues des pratiques culturelles et agricoles des brasseurs locaux. On découvre ainsi la chicha de jora, une boisson traditionnelle péruvienne à base de maïs blanc malté, une bière crue de fermentation spontanée brassée au jour le jour, qui peut s’agrémenter de fraise, devenant alors une frutillada. Si la description met l’eau à la bouche, le récit apporte mine de rien de nombreuses informations techniques qui ouvrent d’infinies perspectives aux brasseurs amateurs et professionnelles.

En Ethiopie, on chille tranquille en buvant sa Tella dans une boîte de conserve. Crédit Martin Thibault

 

Cette balade fait découvrir des bières rares qu’on peut trouver près de chez nous, comme les kellerbier, mais donne aussi un aperçu de joyaux inaccessibles comme la Bang Chhaang du Bhoutan ou la Kaimiškas alus de Lituanie. Des vestiges glorieux d’une culture traditionnelle où tout est fait à la main avec les produits du coin, et qui pourrait rapidement disparaitre. Ces instantanés sont des enregistrements précieux de ce que peut être une boisson de céréales fermentées à mille lieues de la lager mondialisée, et même de nos IPA ou Stout recalibrées par la nouvelle révolution brassicole.

Pas de passéisme, au contraire, car dans le même temps, la nouvelle génération de brasseurs s’inspirent de ces découvertes, ressuscitent ou réinvente ces bières fermières. Car les traditions sont d’abord des innovations qui ont connu le succès. Et Martin Thibault propose un carnet de voyage avec des parcours en Europe et Amérique du Nord qui permettent de découvrir quelques merveilleuses brasseries.

Bref, on s’amuse, on s’étonne, on s’enthousiasme à la lecture de cet alléchant ouvrage, et on finit par se servir une Saison simple et bien faite, marquée par des saveurs de foin, de terre avec une jolie longueur poivrée.

 

Le goût de la bière fermière, Martin THIBAULT. Ed. Druide. 28€

En ligne. Egalement disponible à la Librairie du Québec, 30 Rue Gay-Lussac, 75005 Paris