Aux sobres héros de l’amer

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Que celui qui n’a jamais cédé à un jeu de mots douteux me jette la première bière.

Il est aujourd’hui question d’amertume. Ce goût particulier qui vous faisait détester le Schweppes, qui tord la langue et fait saliver.

Père de deux enfants en bas âge, j’ai profité de la naïveté de mon fils pour tester sur lui les effets de l’amertume à l’aide d’une faible quantité de houblon. Le résultat est sans appel : une grimace déformant le visage, et la conclusion : « c’est pas bon ».

La vidéo est ici.

Jusqu’ici rien d’étonnant. Le rejet instinctif de l’amertume est un cadeau de l’évolution. Un message de Dame Nature pour nous dire : « ne mange pas cette plante, ça va te tuer ». Et dans les faits, les végétaux amers sont généralement au pire toxiques, au mieux indigestes.

Si vous rajoutez à cela que le consommateur de bière français pendant longtemps n’a eu qu’un choix restreint parmi des bières commençant par « K » et finissant par « ro », rien d’étonnant à ce que l’amertume soit mal considérée.

 

houblon sur pied

Dans une bière, l’amertume vient du houblon. Une plante merveilleuse, de la même famille que le cannabis (mais légale) dont on utilise depuis plus de 1 000 ans les fleurs femelles chargées en résine pour conserver le produit et apporter goût et saveur. Car la bonne nouvelle, c’est que le houblon n’est pas toxique. (C’est le houblon qui définit la bière. On parlait auparavant de cervoise, un vin d’orge aromatisée avec des plantes aromatiques. Produit délicieux par ailleurs mais qui se conserve très mal.)

Basiquement, l’amertume est portée par les acides alpha (lupuline, humulone…) tandis qu’un bouquet d’huiles aromatiques apporte des arômes qui varient en fonction des variétés de houblons utilisés.

Avec un houblon de qualité et le savoir-faire du brasseur, l’amertume devient plaisante, et on en redemande. La profession brassicole a mis au point un indice d’amertume, l’IBU (international bitterness unit) qui mesure la quantité d’acide alpha, et in fine d’amertume.

Le goût des bières bien houblonnées, et donc amères, est un phénomène très récent en France. Daniel Thiriez, à la brasserie d’Escquelbec (59) brasse depuis 1999 l’Etoile du Nord, une merveille d’amertume joyeuse et fleurie chargée aux houblons Nugget des Flandres voisines. « Il y avait un rejet de la part du public français. Dans un premier temps, seuls les Anglais et Américains l’appréciaient. » Mais Daniel a tenu bon. Un nouveau public très porté justement sur les créations anglo-saxonnes plébiscite aujourd’hui l’Etoile du Nord qui connait un succès mérité.

Car contrairement aux craintes des gros industriels qui favorisent des goûts très fruités, moelleux, alcoolisés, le public, après une phase de découverte est généralement très ouvert à la gamme des goûts amers.

Car l’amertume aujourd’hui est revendiquée comme un goût à part entière, notamment par le FHL, Front hexagonal de Libiération, association de micro-brasseurs français qui mettent en avant l’usage du houblon.

A noter également, une démarche extrémiste et pourtant tellement sympathique, la bière Wollt ihr das Bett in Flammen sehen, du collectif Get Radical, réalisée à la Brasserie Corrézienne. Une boisson drôle dont le nom est tiré d’un morceau de Rammstein, tirant à 8,1% d’alcool et 150 IBU, soit bien au-delà du seuil de perception humaine. Une bière qu’elle envoie du bois !