Rions un peu avec les gros brasseurs industriels : 1664 Millésime

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Entendons-nous bien. Il ne s’agit pas de fustiger les industriels de la bière. Pour rappel, le brassage est un process qui consiste à transformer des matières premières (malt, produit lui-même déjà transformé, et houblon) en mettant en oeuvre des échanges caloriques, transferts de fluides, opérations bio-chimiques, pour aboutir à un produit fini, la bière. Et ce process est le même, qu’il s’agisse d’un brasseur amateur dans sa cuisine ou de n’importe quelle grosse marque connue. Dans les grandes lignes, la différence tient à la taille des équipements.

Rien n’empêche une grosse structure industrielle de faire de la qualité. Il y a quelques exemples: en Ecosse, Brewdog, 100 000 hectolitres, une trentaine de références et une stratégie de développement planétaire, aujourd’hui distribué dans quelques supermarchés. Plus loin de nous, en Californie, Sierra Nevada, 510 000 hectolitres, dont personne ne se plaint à ma connaissance.

Aujourd’hui 90% du marché mondial est dominé par 4 grands groupes : Carlsberg, SAB Miller, An HeuserBush InBev, et Heineken, issus de fusions à répétition (à voir ici, ce stupéfiant tableau), quasiment dépourvus de nationalité, et qui abreuvent la planète de la même pils insipide.

On sent poindre depuis quelques années une fébrilité des gros acteurs. Certes, il reste des marchés à développer en Afrique et en Asie, mais la consommation de bières en Europe et aux Etats-Unis baisse. Moins 3% en France en 2013. La faute à l’augmentation des droits d’accises, mais pas que. Car dans le même temps, le marché de la bière artisanale française connaît une augmentation estimée au petit doigt levé à 5 à 8% par an.

Les gros ne se s’y sont pas trompés en développant le secteur des bières de « spécialité et de dégustation ». Qu’est-ce qu’une bière de spécialité ? D’abord une bière plus alcoolisée, pour que le consommateur en ait pour son argent, et aussi une bière de fermentation haute, qui au passage dégage un peu plus d’arômes. La solution à la crise est trouvée : faire des bières qui ont du goût ! Quelle belle idée ! Mais la route est encore longue.

Quelques illustrations de ce marketing fumeux avec des produits trouvés en grande surface (Monoprix). Je n’ai pas pris la peine de contacter les services de communication, j’ai trouvé les argumentaires sur les sites officiels, et j’ai bien rigolé.

1664 Millésimée

ça doit être super bon, c'est millésimé comme du vin !
ça a l’air super bon, c’est millésimé comme du vin !

Commençons par le sous-titre « Riche et intense« , manière de dire sans doute, qu’il en s’agit pas seulement de s’alcooliser (6,7%), mais de boire une bière bonne et goûteuse. Je pensais que ça allait de soi, mais pourquoi pas !

Pioché sur le site officiel de Carlsberg, « Cette bière blonde de dégustation est le fruit du savoir-faire des maîtres brasseurs et du malt de la dernière récolte (malt de printemps). C’est pourquoi chaque Millésime est unique et révèle chaque année des arômes différents. »

Une récolte de malt ? Magnifique, j’imagine que les champs de malts poussent à côté des champs de spaghetti et des arbres à nouilles. A part ça, je connaissais l’orge de printemps, mais pas encore le malt de printemps.

« Chaque Millésime est unique et révèle chaque année des arômes différents« . Dans ce cas, pourquoi ne pas porter l’année sur la bouteille ? ça permettrait de se constituer une cave et de comparer les années. Ah oui, j’oubliais, la bière conditionnée en verre vert n’a qu’une faible capacité de conservation, même les néons de supermarchés suffisent à dégrader les acides alpha issus du houblon, donc, si on décide d’en boire, ce que je ne conseille pas, il vaut mieux ne pas traîner.

« Chaque année des arômes différents« . J’en doute un peu. En agriculture conventionnelle, le climat n’impacte qu’à la marge le goût des céréales maltés, surtout quand l’approvisionnement se fait à une échelle européenne, voire mondial. Eh, Carlsberg, j’ai l’impression que vous laissez entendre que vos malts et vos bières ont le goût du terroir. Vous vous foutez du monde un peu !

Enfin, curieusement, pour une bière prétendument millésimée, la note de présentation du site officiel ne distingue pas les nuances gustatives et olfactives d’une année sur l’autre. J’étais ravi d’apprendre que « au nez, il y a dominance du fruité (fruits macérés) et du malt caramel, notes de réglisse et de miel, et une bouche, très dense, moelleuse, douce et bien équilibrée, dominance d’arômes de malt, caramel, houblon et rhum brun« . Nuances formidables qu’on retrouve donc d’une année sur l’autre. C’est sans doute pourquoi, cette bière s’appelle « Millésime » et pas « Millésimée ». Le terme engage un peu moins.

Nous sommes donc bien à la limite de la publicité mensongère.

Plus généralement, une bière millésimée, c’est possible, mais s’agissant d’un process industriels, les brasseurs, quels qu’ils soient, s’efforcent en général de limiter les aléas et de brasser un produit constant.

En revanche, certaines bières gagnent à vieillir : les barley wine, certaines stouts, les sublimes gueuzes de Cantillon. Si vous n’avez pas de bonne boutique à côté de chez vous, faites l’expérience avec Orval ou Chimay disponibles en grandes surfaces. A oublier quelques années dans la cave. Sur l’Orval, la charge du houblon s’atténue et laisse plus de place aux produits de la fermentation. La Chimay évolue vers les fruits secs et des goûts de madérisation. A comparer avec la version jeune.

La suite bientôt.